Like a hobo from a broken home ●● Deadpool

« Tais-toi ! » Tu intimes l’ordre alors que la vocalise t’échappe quand tu préférerais que le dialogue reste interne. Les cloisons mentales ne sont que fétus de paille quand tu les rêves en béton armé et laissent à loisir les personnalités les plus vindicatives se manifester, à l’instar de celle de ta tante Carrie. Sa déception gronde alors que tu te tiens à nouveau face à la porte lourde de cet immense manoir qui a été la seule demeure où tu t’es sentie un jour en sécurité et que ta dextre glisse pour faire retentir la sonnette annonçant la visite des étrangers. Elle sait les sentiments qui t’animent et que, loin de la volonté de faire de ce monde un endroit plus sûr pour les tiens portée par ton optimisme obtus, il ne reste que cet impérieux besoin de vengeance et de destruction qui pourrait te conduire à une disparition plus… définitive, cette fois. T’as beau faire partie de cette engeance de malheur qu’elle exècre, tu restes le seul héritage de sa sœur et ta vie lui est trop précieuse pour être si stupidement gâchée.

Sauf qu’elle est incapable de s’exprimer en ces termes et qu’aux tentatives d’intimidation infructueuses exhortées par ton souhait de faire à nouveau partie de ces héros qu’elle ne considère que comme des criminels, se succèdent les insultes qui égrainent une confiance en soi déjà trop fortement amoindrie. Les doutes commencent à s’immiscer alors que tu as un mouvement de recul qui n’est probablement pas dicté que par ta seule volonté. Tu ne sais pas quel accueil tu vas recevoir de ceux qui furent ta famille de substitution et si l’aide dont tu as besoin, à tous les niveaux, va t’être apportée. Tu n’oublies pas que tu t’es battue presque une vie entière dans l’espoir de voir les idéaux de Xavier triompher de la haine que vous savez inspirer. T’es pourtant partie sans te retourner alors qu’ils n’avaient jamais eu aussi besoin de toi tandis que le snap avait fait disparaître un nombre trop conséquent des vôtres, laissant une politique toujours plus xénophobe et liberticide envers les mutants, proliférer. Il serait légitime qu’ils te tournent le dos en écho à tes propres actions. Le retour de bâton dans ta tronche risquerait d’être bien plus fatal à ta raison que ce que tu es capable de considérer.

La culpabilité est l’une des nombreuses cordes que comptent le violon de tes émotions que Carrie fait dissoner et dont la mélodie finit par te vriller les tympans. « Va falloir que je t’incinère une deuxième fois pour que tu m'lâches ?! FERME-LA, j’ai dit ! » La porte s’ouvre à l’instant où tu ouvres la bouche, laissant à ton interlocuteur tout le loisir de jauger l’instabilité mentale dans laquelle tu te trouves quand ton corps, enveloppé par la pénombre de ce milieu de soirée, ne porte que peu les stigmates de ces années de captivité que tu viens de fuir. A une exception près, ton regard qui n’est plus assombri par les couches de khôl dont tu te montrais friande mais alourdi par des cernes qui laissent deviner que le sommeil a déserté tes nuits. Tu baisses la tête, honteuse de faire mauvaise figure et de revenir en si piteux état après une si longue absence et n’étant pas prête à faire face à celui qui t’accueille tout en espérant fort que ce ne soit pas Scott. « Je n'disais pas ça pour vous. » Que tu bafouilles en guise d’excuses bien que cette réplique puisse être encore moins rassurante que les menaces que tu viens de formuler. Vivre avec son bourreau dans la tête n’a vraiment rien d’une sinécure...

Tu remontes tout de même les yeux vers cet hôte qui eut la délicatesse de t’ouvrir plutôt que de laisser un élément devenu probablement indésirable se geler le sang face à cet automne qui revêt des allures d’hiver et tu laisses échapper un « Oh ! » de surprise quand tu reconnais qui incarne le comité d’accueil. Le sentiment n'est pas instillé par le fait qu'il a été déclaré officiellement mort suite au snap, tu sais qu'ils sont de retour grâce à l'étalage journalistique -et c'est probablement la seule information que tu as glané sur les événements qui se sont produits durant ta captivité. Tu as eu la chance d’assister à l’intronisation de Deadpool au sein des X-Men, un rôle que tu pensais en sursis même dans la branche la plus violente de votre formation tant il te semble peu approprié comme figure de proue pour réhabiliter les mutants au vu de son pedigree quand son caractère ne te semble pas être le plus enclin à servir de modèle aux élèves qui vous font office de protégés. T’as pas le droit de juger des décisions qui se sont faîtes pendant ton absence alors que tu voulais jouer à l’humaine sans histoire et cueillir un bonheur dont tu avais été dépouillée pendant qu’il était encore temps. Tu lui souris même sincèrement, sa présence ravive l’espoir qu’il te reste encore une place entre les murs qu’il garde, t’es quand même pas pire que Deadpool… Même si tu peux lui reconnaître une fidélité qui t’a fait défaut. « Dis-moi qu't’es pas le seul X-Men encore en vie... » Quand il est sûrement le seul capable de récupérer d’une décapitation. La panique te gagne, t’as été longtemps coupée du monde et tu ne sais pas quels éléments ont secoués l’institut pendant que tu jouais les rats de laboratoire. Tu sais par contre que la fatigue accumulée et les nerfs à fleur de peau ne sauront armer une patience nécessaire quand on entame une conversation avec celui qui te fait face alors que l’exaspération aura cette fois tôt fait de prendre le pas sur l’amusement qui a rythmé vos derniers échanges.

C’est de la déception qu’il t’inspire, mêlée à un soupçon de dégoût. Si tu n’es clairement pas la plus chaleureuse des mutantes, forcée de fuir les autres, engoncée dans une solitude rarement choisie, tu sais que ces sentiments ne t’appartiennent pas complètement. Carrie veille et tu te doutes que Wade lui inspire le même rejet qu’elle eut pour toi quand elle découvrit ta réelle nature. La faute te revient, tu n’as fait aucun effort pour maintenir en état les barrières mentales qui cloisonnent les personnalités aspirées, les seules qui te tenaient compagnie quand tu fus recluse. Maintenant, tu te prends le retour de bâton de ce manque d’exercice que te reprochait le professeur. Tu t’en veux, de ce nez pincé et de la grimace qu’argue tes traits devant la surprise -bonne, selon toute vraisemblance, que ta présence provoque chez ton interlocuteur. Tu t’offusques rarement de son langage fleuri et trop descriptif et t’apprécies de pouvoir échanger avec lui sans devoir veiller à y mettre les formes. Une honnêteté qui soulage, même quand les tirades de Deadpool sont cryptiques, comme actuellement. Pourtant, si tu ne comprends qu’un mot sur trois à ce qu’il raconte, il ôte un poids qui fait pression sur la cage thoracique puisqu’il reste fidèle aux souvenirs que tu conserves de lui. Et il n’y a rien que tu pourrais trouver plus réconfortant que l’illusion que rien n’a changé durant ces années d’absence. Malgré le froid qui vient mordre l’épiderme, y’a cette chaleur qui se diffuse dans les entrailles pour en retirer quelques nœuds. Si t’étais réellement toi-même, t’irait certainement rechercher le contact en le serrant dans tes bras, sachant pertinemment qu’il se remettrait rapidement si votre peau se touchait bien que tu es suffisamment couverte pour l’éviter, pour lui prouver que la joie est partagée et que tu n’es pas aussi austère que l’image que tu renvoies le laisse supposer. A la place, t’as cette mine affreuse et le regard hautain.

« Quel genre de drogue circule ici, jeune homme ? »

Qu’elle lâche avant même que t’es pu vraiment réagir. T’as peur que les choses t’échappent alors que tu te rends bien compte que, si tu n’es pas totalement spectatrice, tes paroles et actes ne sont plus simplement dictés par ta propre volonté et c’est l’un de sentiments les plus terrifiants que t’as connu, même après tous les doutes qui t’ont traversés sur ta propre survie lorsque tu étais dans le laboratoire. T’es debout, presque sauve, mais t’y as clairement laissé ta santé mentale. T’en viens même à te demander si Calvin a réellement existé, vu le peu de nouvelles qu’il te donne depuis votre évasion, ou s’il n’est qu’une autre manifestation d’un esprit tourmenté.
T’es si soulagée quand il évoque ces noms familiers, de les savoir toujours dans le secteur et suffisamment aptes pour partir en mission que t’en souffles bruyamment et tu arrives même à reprendre un peu de contenance et de contrôle.

« Tes secrets seront bien gardés ! Wolverine n’est pas du genre à se contenter d’un chat pour animal de compagnie. Les ratons-laveur, c’est sûrement lui. Et le professeur ? »

L’inquiétude ressurgit rapidement, être le porte étendard de la fierté mutante ne lui a pas attiré que des amis… Dans ce climat anxiogène, tu crains qu’il lui soit arrivé malheur, d’autant que laisser Deadpool jouer les majordomes ne ressemble pas à l’une de ses idées – bien qu’il te fait comprendre que personne n’aurait une idée aussi saugrenue et qu’il n’attend pas d’être invité pour prendre possession du manoir.

Tu hoches la tête pour confirmer ses dires sur l’inconstance de la mort chez vos pairs. T’irais toi-même rechercher certaine de leur âme en enfer si on te les retirait et Wade est un bel exemple que rien n’est immuable, pas même le temps, pas même la faucheuse quand on est doté de ces capacités que l’acariâtre qui squatte l’encéphale exècre tellement. Tu te crispes pourtant sur ce qui suit. L’évocation de Gambit fait l’effet d’une décharge électrique. Tu ne sais pas ce qu’il est devenu depuis qu’il t’a tourné le dos -ou plutôt depuis que tu as tourné les talons pour t’éloigner de l’institut, en préférant ses secrets à votre couple. Le temps n’a pas effacé la peine, t’as la rancune tenace et tu sais pas si tu seras un jour capable de lui pardonner vraiment. Tu te demandes même s’il t’a cherché, durant tout ce temps… T’en déduis qu’il n’est pas au manoir, qu’il ne fait peut-être même plus partie des X-Personne, mais tu ne sais pas vraiment si ça te soulage -t’es clairement pas en état de lui faire face, ou si ça t’inquiète. T’aurais aimé qu’ils puissent veiller sur lui, quand t’étais pas là pour le faire.

« T’as raison sur tous les points et ça vient d’où, cette sagesse ? Gambit et moi, c’est terminé, depuis de nombreuses années maintenant. » La voix chevrote un peu, on sent que ça reste douloureux et que ce n’est pas vraiment un sujet à creuser. « Difficile de se tenir au courant de tous les potins quand on disparaît ? Je compte quand même sur toi pour me lâcher les petits secrets que t’as pu récolter. »

Le sourire est sincère, tu passes le chambranle de cette porte grande ouverte. La chaleur d’une cheminée qui crépite te brûle presque l’épiderme mais ça fait un bien incroyable de se retrouver dans ce lieu familier, où tu te sens en sécurité -d’autant plus en sa compagnie. Rien n’a changé et c’est incroyablement réconfortant. Tes yeux s’attardent sur le mobilier d’une autre époque et sur la photographie du maître des lieux qui orne le mur et qui est bien plus chevelue que ce à quoi tu t’attendais.

« Et donc, c’est quoi son super pouvoir ? »

Que tu dis avec un sourire de connivence en désignant le meilleur acteur de sa génération. Deadpool et ses facéties, la promesse d’une bière, tu sens que Carrie s’efface au profit de Cody et tu ne sais pas vraiment si c’est une bonne chose que ta conscience se mêle à celle d’un adolescent de quinze ans en compagnie de ton hôte.
Tu accompagnes tout de même Wade jusqu’à la cuisine où tu le laisses te servir. T’as plus vraiment l’impression d’être chez toi, tu ne te sens pas légitime de faire comme-ci, ce qui n’est pas le genre d’état d’âme qui semble étreindre le mutant. Tu lui précises quand même que ta préférence se porte sur une lager, tu veux quelque chose de léger même si la régénération empruntée à ton mentor t’empêche d’être facilement ivre.

« Tu ne résides donc pas de façon permanente à l’institut… T'arrives à faire face après… Tout ce merdier ? Comment est-ce que tu vas ? »

Que tu demandes quand vous vous faites face, assis autour de la table, réellement préoccupée cette fois et sûrement un peu honteuse que ce ne soit pas la première question qui te soit venue à l’esprit.